Jean Pivain, grand témoin des 20 ans « À La Cité de la Mer […] on a l’impression de voyager et cela me fait toujours rêver »
Cherbourgeois d’origine, né en 1930, Jean PIVAIN grandit dans le quartier du port. Il réalise toute sa carrière au sein de l’Arsenal de Cherbourg. Il est un des fondateurs de l’Association pour une Cité Navale, qui porta l’ambition de sauvegarder le sous-marin Le Redoutable. Jean PIVAIN a toujours eu à cœur de faire partager sa passion pour la Gare Maritime Transatlantique et le Redoutable et de transmettre ses connaissances. Il nous relate l’origine du projet de Cité navale qui s’est transformée en Cité de la Mer et qui a permis de sauver un patrimoine maritime et technologique d’exception !
1- D’où vous vient cette passion pour la Gare Maritime et pour Le Redoutable ?
Je suis cherbourgeois. J’ai grandi au cœur du quartier du port. Mon père était mécanicien au pilotage au port de Cherbourg et à 8 ans je voulais devenir moi-même marin. Enfant, je me promenais souvent avec ma mère sur le quai de France, longeant La Gare Maritime Transatlantique inaugurée quelques années plus tôt. Ensemble, nous aimions observer le départ et l’arrivée des prestigieux paquebots. Je me rappelle des odeurs de la vapeur des remorqueurs qui envahissaient le quartier quand ils faisaient entrer un paquebot dans la darse. À 14 ans je deviens apprenti charpentier tôlier à l’Arsenal de Cherbourg au sein duquel j’ai travaillé durant 46 ans jusqu’à devenir ingénieur dans la construction navale (DCN). Je faisais partie de ce que l’on appelait la génération 44 ! À mon départ en retraite en 1990, le directeur de l’époque, Hervé Chéneau m’interpelle : « Vous avez réussi votre carrière, vous réussirez votre retraite ! ». En effet, à ce moment-là, le projet de créer un musée avait germé au sein de l’Arsenal. Olivier Stirn, alors président de la CUC et ministre du tourisme, avait commandé une première étude qui s’est avérée trop coûteuse et ambitieuse. Mais pas de quoi décourager les jeunes retraités comme moi, fiers et passionnés par le patrimoine maritime cherbourgeois que nous voulions à tout prix sauvegarder.
2- Pouvez-vous nous relater les origines de La Cité de la Mer ?
En 1991, avec une bande de copains nous avons créé l’Association pour une Cité Navale qui imagina un musée naval au sein du Hall des Trains de la Gare Maritime Transatlantique. La pièce maîtresse étant le sous-marin nucléaire lanceur d’engins, Le Redoutable. L’association était présidée par Claude Coutanceau, ingénieur du génie maritime. Le bureau était composé également de Michel Alix, chef de projet et j’en étais moi-même le secrétaire. Avec une vingtaine de techniciens de haut niveau nous nous sommes lancés dans l’aventure. En l’espace de 2 ans, près de 10 000 heures de travail ont été effectuées pour étudier la faisabilité technique du projet. Près de 200 rencontres et représentations avec les élus locaux, la CCI, les institutions nationales, les ministères ont été organisées. Claude Coutanceau étant polytechnicien, l’association bénéficiait de son large réseau ce qui facilitait aussi les entrées dans les arcanes du pouvoir. Une maquette avait d’ailleurs été créée que nous emmenions et présentions lors de nos multiples rendez-vous entre Cherbourg, Caen et Paris. Nous avons développé l’association qui est rapidement montée à plus de 600 adhérents ! Notre objectif était de mettre la pression sur les pouvoirs publics et de monter un projet sérieux. Sous l’impulsion de Bernard Cauvin, La Communauté Urbaine de Cherbourg s’empare finalement du projet en 1994 et en devient maître d’ouvrage et concrétise ce projet de reconquête culturelle et territoriale.
L’affaire a véritablement été mise sur les rails une fois que le préfet de région de l’époque Michel Besse confirma la participation financière de l’Etat via notamment la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) alors rattachée au ministère de l’intérieur. Je me rappelle encore de l’appel du Préfet de la Manche M. Gilles Killian nous annonçant la bonne nouvelle : « le train est en marche » ! Bernard Landrieu son prédécesseur (1991 à 1993) qui devint directeur de cabinet sous la Présidence de Jacques Chirac (1995 à 2002) a été lui aussi un allié dans le processus de décision jusqu’à son aboutissement en 2002.
3- Que pensez-vous du développement et de l’évolution de La Cité de la Mer ?
Nous avons fait du bénévolat pendant plus de 10 ans avec le soutien de nos épouses qui nous ont toujours soutenus et qui ont aussi largement participé à cette aventure. Nous avons défendu des idées, un patrimoine exceptionnel qui a été sauvé et je ne peux que ressentir de la fierté et de la satisfaction. Je suis content de l’évolution de La Cité de la Mer qui a su se développer bien au-delà du Redoutable pour proposer une offre cohérente, riche et variée. Le concept initial a su évoluer vers la création d’un complexe culturel dédié à l’aventure humaine sous-marine qui deviendra La Cité de la Mer – ouverte au public en 2002 et portée par la détermination de Bernard Cauvin. Il a réussi en plus à obtenir l’arrivée du bathyscaphe Archimède puis de plusieurs engins emblématiques de la plongée profonde et a créé une offre muséographique élargie et pleine de sens, indispensable pour l’éveil et la connaissance des jeunes générations.
Depuis 20 ans, j’ai également assisté à de nombreux évènements à La Cité de la Mer. Jean-Louis Etienne m’a passionné. Venu présenter en 2019 son projet Polar Pod dans l’auditorium de La Cité de la Mer, il nous a relaté avec passion ses expéditions à la découverte des pôles. On ne peut être qu’ébahi et inspiré par son parcours. Alors qu’il était jeune apprenti mécanicien, un enseignant l’a remarqué ce qui lui a permis de se réorienter et de réaliser une carrière exceptionnelle, d’abord de médecin et d’allier sa passion pour l’exploration. La Cité de la Mer nous fait vivre des moments et des rencontres d’exception inspirantes en particulier pour les jeunes générations !
4- Quel est l’espace de La Cité de la Mer que vous préférez ?
La galerie extérieure de la Gare Maritime Transatlantique de Cherbourg, partie prenante de La Cité de la Mer, est vraiment l’endroit que je préfère. À contempler la vue et à regarder défiler les noms des paquebots en partance pour Montevideo ou Buenos Aires, on a l’impression de voyager et cela me fait toujours rêver. Enfant, ma mère me disait toujours : les gens partent à New York et pour l’enfant que j’étais, c’était un rêve irréalisable qui entretenait mon imaginaire. Je me suis toujours passionné pour la Gare Maritime Transatlantique et ses paquebots. La curiosité m’a encouragé à dénicher et à collectionner cartes postales, photographies et documentation en tout genre sur la gare maritime. Depuis cette galerie, la vue est magnifique sur le port et sur la plus grande rade artificielle au monde. L’air est revigorant et donne envie de chanter une chanson typique de la Manche, devenue une sorte d’hymne dans notre territoire : « Sû la mé ». Cette chanson nous parle non seulement de la mer mais aussi de ses paysages et de voyages « Quand je syis sû le rivage, Byin tranquille : êt’-ous coum’ mai ? J’pense à ceuss’ qui sount en vyage, En vyage ou louan sû la mé » …
5- Quelle Cité de la Mer pouvez-vous imaginer pour le futur ?
Du Redoutable, notre Marine nationale est désormais passé au Triomphant et au Suffren avec de nouvelles innovations technologiques fort intéressantes à faire connaître. Il faut aussi que La Cité de la Mer puisse développer auprès du grand public et des jeunes en particulier l’intérêt de la mer et des fonds marins. En France, nous avons la chance de détenir le 2e espace maritime au monde par sa superficie. C’est une chance ! L’Océan est l’avenir de l’humanité et recèle des promesses et des solutions pour l’avenir. Il faut davantage les faire connaître !