Paul-Henri Nargeolet, grand témoin des 20 ans « A la Cité de la Mer je retrouve tout ce qui me plaît » !
Aurevoir au plus grand explorateur moderne français : Paul-Henri Nargeolet
La Cité de la Mer, toute son équipe, a perdu un grand ami. Cherbourgeois d’adoption, pilote d’engins sous-marins, responsable à l’Ifremer, explorateur hors pair, passionné par l’exploration et les sciences, par l’océan et ses secrets, par la transmission et l’éducation à la mer, Paul-Henri aura marqué à jamais la vie de La Cité de la Mer.
Au cours de sa carrière dans la Marine Nationale, Paul-Henri Nargeolet est de 1976 à 1978, à Cherbourg, Commandant du Premier Groupe de Plongeurs Démineurs. Il est ensuite affecté au Groupe d’Intervention sous la Mer (GISMER) basé à Toulon. En 1986, l’Ifremer lui propose de diriger les plongées du Nautile sur l’épave du Titanic. Plus tard, après avoir dirigé la société Aqua +, Il rejoint, aux USA, la société RMS Titanic Inc. et devient directeur du programme des recherches sous-marines. Il a effectué une trentaine de plongées sur l’épave du Titanic, supervisant la remontée de près de 5 500 objets, incluant un fragment de la coque « the big peace » pesant 20 tonnes (maintenant exposé à Las Vegas). Paul Henri-Nargeolet a accumulé une expérience et une connaissance unique du site puisqu’il a participé au total à 8 expéditions : 3 pour l’Ifremer, 3 pour RMS Titanic Inc, une avec Caladan Oceanic en 2019 et une avec la société Oceangate en effectuant cinq plongées durant l’été 2021.
1- Quels sont vos premiers souvenirs avec Cherbourg et sa Gare Maritime qui abrite aujourd’hui La Cité de la Mer ? En quoi La Cité de la Mer vous touche-t-elle ?
J’ai été nommé à Cherbourg Commandant du Groupe de Plongeurs Démineurs. Je me souviens d’ailleurs de la découverte d’un engin suspect au cours d’une visite des fonds le long des quais de la Gare Maritime avant l’escale du paquebot Queen Elisabeth à Cherbourg. A cette époque je découvre l’intérieur de la Gare Maritime dont une grande partie était à l’abandon. Passionné par les épaves, je m’intéresse également au bâtiment de la Marine des Etats Confédérés américains, le CSS Alabama coulé devant Cherbourg, en 1864, pendant la guerre de Sécession, par le navire de l’US Navy l’USS Kearsarge. Avec l’aide de Cherbourgeois, je retrace l’histoire de cette bataille navale et tente, sans succès, de localiser l’épave. Affecté ensuite au Groupement d’Intervention sous la Mer (GISMER) basé à Toulon, j’ai toujours gardé des attaches à Cherbourg où je suis revenu, entre autres, plonger sur le site de l’Alabama après sa découverte, très peu de temps après mon départ et grâce aux documents que j’avais laissés à Cherbourg. Plus de 30 ans après mon passage dans le Cotentin, je redécouvre la Gare Maritime sauvée ! Elle abrite un condensé de mes passions : un patrimoine remarquable, le canon de l’Alabama, des engins d’exploration que j’ai côtoyés et dirigés, un aquarium d’exception, une exposition sur le Titanic…
Cette idée d’avoir utilisé pour La Cité de la Mer, la Gare Maritime Transatlantique, entourée d’eau, en a fait un écrin splendide pour la mer ! A La Cité de la Mer j’y retrouve tout ce qui me plaît. Il y a un côté affectif. J’y revois des engins avec lesquels j’ai plongé. J’y retrouve des amis et collègues avec qui je partage la même passion pour l’intervention sous-marine comme l’explorateur russe Anatoly Sagalevitch, l’océanographe américain David Gallo, les biologistes Daniel Reyss ou Françoise Gaill avec qui j’ai participé à des campagnes en mer, des ingénieurs de l’Ifremer comme Jean Jarry ou Pierre Willm de la DGA, enfin d’autres personnalités du monde de la Mer. C’est la maison des océanautes et un lieu de rencontres. Je n’ai que des bons souvenirs. La Cité de la Mer est une réussite spectaculaire et jouit d’un dynamisme phénoménal, grâce à la personnalité de Bernard Cauvin qui s’est battu et qui se bat encore pour sauver et valoriser notre patrimoine technologique maritime !
2- Quel est votre endroit préféré à La Cité de la Mer ?
L’aquarium abyssal reste un de mes endroits préférés. Plongeur de métier, passionné par la science et la technique, je suis aussi aquariophile. Lors de mon passage à Cherbourg dans la Marine, j’ai même construit un aquarium qui, je crois, existe toujours dans la salle d’alerte du Groupe des Plongeurs Démineurs. J’ai aussi construit de multiples aquariums dont deux sur des navires, abritant des poissons tropicaux ou locaux d’eau de mer. J’admire plus particulièrement les poissons Empereurs qui changent de couleurs en grandissant, les rascasses, le Pygoplites diacanthus appelés aussi poisson ange royal qui se distingue par sa robe colorée, ses rayures verticales blanches ou bleutées entourées de noir. Comme j’étais souvent en mer, j’ai même installé dans mes aquariums des systèmes automatiques d’éclairage, de nettoyage et de distribution de nourriture fonctionnant aussi sur batteries, avec, je dois l’avouer plus ou moins de succès, pendant mes absences…
3- Vous faites partie de ceux qui connaissent le mieux l’épave du Titanic, découverte en 1985 par une équipe franco-américaine. Vous reprochez aux Américains et notamment à Robert Ballard d’avoir tiré profit de cette découverte. Vous voulez une nouvelle fois rétablir la vérité. Alors quelle est la véritable histoire de la découverte de l’épave ?
Avant de bien connaître une des épaves les plus mythiques au monde, je ne m’intéressais pas plus que cela au Titanic. Certes j’avais vu ou lu des reportages sur le sujet, mais je n’imaginais pas que cela allait prendre une aussi grande place dans ma vie ! Les premières recherches sérieuses pour détecter l’épave débutent à la fin des années 70 à l’instigation du multimillionnaire texan Jack Grimm. Ensuite, alors que j’étais affecté au Groupe d’Intervention sous la Mer en tant que pilote du sous-marins (Griffon), un contact est rétabli avec l’équipe américaine désireuse d’utiliser l’Archimède. Or le célèbre bathyscaphe français était déjà en réserve. La marine préféra, malheureusement, après une étude, de renoncer à la remise en service de l’Archimède même si l’équipe américaine était prête à financer toute sa remise en état ! La justification étant que le Nautile était en projet et que l’Archimède aurait fait double emploi.
Il aura fallu attendre 1985 pour qu’une équipe franco-américaine se lance dans l’aventure avec l’Ifremer et la Woods Hole Oceanographic Institut, WHOI, sur l’opération “Etoile Blanche” (White Star). D’un côté Robert Ballard qui disposait de deux nouveaux engins à câble, l’Argo et le Jason, capables de filmer et de photographier les fonds marins à de grandes profondeurs. De l’autre, l’Ifremer, avec comme chef de mission Jean-Louis Michel et chef de projet Jean Jarry qui testaient un nouveau sonar : le SAR, Système Acoustique Remorqué chargé d’investiguer la zone de recherche pour localiser l’épave. Cette zone de 400 Km² devait être couverte en faisant des allers-retours (en langage de mission cela signifie « tondre le gazon »). La reconnaissance par sonar d’une grande partie de la zone a été effectuée en juillet 1985 à bord du navire océanographique français Le Suroît. Avant le début de la recherche, un des lieutenants à bord du Suroît, navire scientifique de l’Ifremer, Joseph Coïc avait repéré par deux fois, avec le sondeur grands fonds du navire, en bordure sud-est de la zone de recherche, un écho qu’il avait signalé comme épave possible, mais l’équipe chargée de l’opération n’avait pas accordé de crédit à cette découverte pourtant confirmée peu de temps après par la détection d’une anomalie magnétique au tout début des opérations avec le SAR. Cela paraissait inimaginable de trouver l’épave aussi vite et Jean-Louis Michel tenait à valider les performances du SAR en explorant au moins 70% de la zone pendant la présence du Suroît sur la zone. C’était sa priorité. Finalement, Le Suroît quitte la zone, sans avoir localisé l’épave en août pour une autre mission scientifique, remplacé par le navire de recherche Knorr de WHOI qui focalise ses recherches dans la zone sud-est, là où les échos et l’anomalie magnétique avaient été repérés. Le mois d’août se passe sans aucune découverte. Les recherches se poursuivent et dans la nuit du 31 Août au 1er septembre 1985 à 1h05, commencent à apparaître des débris sur le moniteur vidéo du Knorr puis l’image d’une chaudière sous les yeux ébahis de Jean-Louis Michel et de l’équipe de quart. Bob Ballard a finalement été réveillé par le cuisinier et est arrivé un bon quart d’heure après la découverte dans le central opération du navire.
Les Américains ont largement médiatisé la découverte en particulier l’US Navy. Bob Ballard a conservé les premières images afin de les livrer aux médias du monde entier. Il a fait ce qu’il fallait pour ne pas donner les images à l’équipe de l’Ifremer, privant cette dernière des revenus, négociés avant la mission, pour couvrir les frais de l’expédition du côté Français. Les médias américains ont totalement occulté le fait qu’au moment de la découverte, Robert Ballard dormait, et que c’est Jean-Louis Michel qui assurait le quart au central opération au moment de la découverte. J’ai toujours cherché à faire connaître au fil du temps ce qui s’était passé. Je me réjouis que dans le dernier documentaire « Titanic au cœur de l’épave » réalisé par Bleu Kobalt Productions et diffusé sur Arte et aux Etats-Unis fin 2020, Jean-Louis Michel ait pu mettre en lumière le remarquable travail fait par l’Ifremer.
4- Quelles sont vos dernières expéditions sur l’épave du Titanic ?
J’ai participé à la campagne « Five Deeps » de Victor Vescovo autour du monde qui a effectué cinq plongées sur le site du Titanic en août 2019. La mission a observé l’évolution de la détérioration de l’épave, dont l’acier est en partie « consommée » par les bactéries Halomonas titanicae.
Durant l’été 2021, j’ai également participé à l’expédition « Titanic Survey 2021 » organisée par la société américaine OceanGate avec le sous-marin cinq places Titan. Ce sous-marin comporte plusieurs innovations technologiques : dont une coque en fibre de carbone qui permet un gain de poids important par rapport à une coque en acier ou en Titane ; un régleur souple réversible pour la pesée fonctionnant à l’air jusqu’à 3800 mètres. Ce régleur permet un réglage très fin de la pesée. Autre innovation, toutes les commandes du sous-marin passent par un réseau Wi-Fi y compris celles du pilotage.
Le sous-marin est mis à l’eau et récupéré par une plateforme immergée. Cette plateforme est elle-même mise à l’eau et récupérée par une rampe de lancement installée à l’arrière du navire support. Ce système statique permet l’utilisation d’un navire non dédié au sous-marin. J’ai été satisfait de pouvoir tester et voir fonctionner ces innovations.
Au cours de notre dernière plongée sur la partie avant du Titanic, sans aucun courant ce qui est très rare, nous avons pu observer pour la première fois des parties de l’épave sous un angle différent, ce qui en a fait une plongée particulièrement intéressante.
Autour de la « Marconi Room », le PC radio, situé sur l’avant du grand escalier, nous n’avons pas observé d’aggravation importante de la détérioration entre 2019 et 2021, en revanche en arrière du grand escalier la progression de la dégradation est très visible. Les cloisons du gymnase et le pont adjacent sur tribord se sont effondrés sur le pont inférieur. C’est à ce niveau et en particulier sur tribord que se trouve maintenant la dégradation qui avance inexorablement vers l’avant de cette partie de l’épave. Le côté bâbord progresse encore un peu moins vite de ce côté. Dans les prochaines années les ponts vont, petit à petit, s’effondrer jusqu’au niveau de la passerelle. Par endroit, les rusticles (de l’anglais rust, rouille et icicle stalactite de glace) sont tombées, laissant apparaître des zones intérieures du navire jusque là cachées. La nouvelle brèche observée en 2010 sur bâbord au niveau du pont des cales de chargement, c’est-à-dire juste devant la passerelle, s’agrandit et commence à dépasser le diamètre d’un hublot visible juste sur le bord de cette brèche.
5- Vous êtes un adepte et un défenseur de la plongée habitée qui donne aux hommes et aux femmes leur âme d’explorateur. Pourtant les innovations ne cessent de se développer avec les robots, la 3D, les vidéos qui révolutionnent les techniques de plongée. Quel avenir pour la plongée habitée ?
A bord de ses sous-marins d’exploration, on retrouve l’univers de Jules Verne. Il y a aujourd’hui un engouement pour les robots. Mais à bord d’un sous-marin, quand on observe de ses propres yeux les fonds marins, on a une vision vraiment différente. Aussi bonnes que deviennent les caméras, elles ne procurent absolument pas les mêmes sensations et arrivent même à déformer la réalité. Par exemple, souvent les caméras tridimensionnelles exagèrent l’effet de relief amenant à des conclusions erronées. Je pense que les robots à câble (ROV), en particulier, sont complémentaires des engins habités. Il est dommage que l’Ifremer songe à retirer du service le Nautile qui est un sous-marin toujours opérationnel. Il demande, bien sûr, à être amélioré, comme il l’a souvent été dans le passé pour rester à la pointe des progrès. Il n’y a jamais eu de problème de sécurité avec ce sous-marin qui reste très sûr. Les coûts des ROVs dont la sophistication augmente sans cesse deviennent similaires à ceux des engins habités et leur fiabilité n’est pas et de loin meilleure. D’autres pays comme l’Allemagne, la Chine, les USA se lancent ou poursuivent leurs efforts dans les engins habités à usage scientifique et la France qui a toujours été pionnière dans ce domaine va perdre son savoir-faire. Quand on veut se débarrasser de son chien on dit qu’il a la rage ! La stratégie est tout autre dans d’autres pays : aux USA il y a un revirement, l’Alvin termine sa refonte pour atteindre les 6500 mètres de profondeur. L’Allemagne parle de construire un sous-marin habité profond, les Chinois sont dans la course avec deux sous-marins profonds qui dépassent les 6000 mètres ! Les caméras d’un ROV ne valent pas l’œil humain et pour un explorateur il n’y a rien de mieux que l’immersion pour découvrir la magie des fonds marins ! Les sites de sources hydrothermales révèlent une vie intense dans les profondeurs abyssales, il y a aussi de la vie dans la zone hadale, au-delà de 6000 m. L’observation de cette vie de la surface sur un écran ou au fond à travers un hublot ne produit pas du tout les mêmes émotions ou sensations ! Au fond on est dans la réalité, en surface on imagine ce que cela peut être, c’est très différent.
6- A quoi pourrait ressembler La Cité de la Mer de demain et du futur ?
La Cité de la Mer doit évoluer avec la technologie. C’est à dire y inclure encore plus d’interactivité, une connexion éventuelle avec d’autres musées ou organismes scientifiques ou techniques en mesure de répondre instantanément à des questions. Développer des tables interactives de grandes dimensions sur des sujets importants, comme l’envisage Bernard Cauvin avec l’exploration de l’épave du Titanic me semble être un prolongement intéressant.
Il faudrait aussi y inclure ce que pourrait être « la mer de demain » avec tout ce que cela comporte en matière de lutte contre la pollution et respect de l’environnement. Et pourquoi ne pas y inclure aussi des recherches et des explications sur ce qui a pu se passer il y a des milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers, millions et même milliards d’années sur la surface de la terre dans le domaine de la pollution naturelle due aux incendies gigantesques qui ont duré des siècles et leurs conséquences, les éruptions volcaniques, les changements de niveaux de la mer, les périodes glaciaires… Tous ces phénomènes naturels ont bouleversé la Terre. Le grand public doit être conscient qu’ils peuvent à tout moment se reproduire. Il faut donc davantage faire comprendre aux visiteurs l’impact du changement climatique et leurs conséquences sur la vie à terre et en mer. En effet, en accélérant la fonte des glaciers et en modifiant la répartition des masses d’eau à la surface de notre planète, le changement climatique a modifié l’emplacement des pôles et l’axe de rotation de la Terre. Les visiteurs doivent pouvoir prendre conscience de la capacité plus ou moins grande de la Terre à réagir et à lutter contre ces variations importantes des paramètres climatiques. Il y a beaucoup à dire et à imaginer sur tous ces sujets liés au réchauffement climatique et à l’importance que revêt l’océan.
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« Dans les profondeurs du Titanic » aux éditions HarperCollins.
À travers le fabuleux récit de ses expéditions, de ses rencontres avec certains survivants du naufrage et à l’occasion du 110 ème anniversaire de la disparition du paquebot, Paul Henri Nargeolet nous fait revivre l’histoire du Titanic celle de ses passagers et de son équipage, offrant un point de vue unique sur cette catastrophe maritime qui alimenta tous les fantasmes.