François Sarano , grand témoin des 20 ans « À La Cité de la Mer, on ouvre des fenêtres sur l’Océan pour prêter attention. »
1 – Quel est votre première grande rencontre avec La Cité de la Mer et ses équipes ?
En 2008, le tournage de la séquence de la « Galerie des espèces disparues » dans la Grande Gare Maritime pour le film Océans de Jacques Cluzaud et Jacques Perrin marque indéniablement un souvenir exceptionnel avec l’équipe de La Cité de la Mer qui nous a si chaleureusement accueillis. Les séquences étaient tournées de nuit afin de pouvoir contrôler la lumière. Nous avons vécu pleinement La Cité de la Mer et la relation avec les équipes fut infiniment plus intense. Avec plus de 3 millions d’entrées en France et 11 millions dans le monde, Océans marque l’histoire des films naturalistes, non seulement par le nombre d’entrées mais par l’émotion extrême qui se dégage des images. Quatre années de tournages, entre 2004 et 2008, ont donné le temps aux caméramans de vivre avec les créatures marines et de les connaitre. C’est un film immersif sensuel qui livre peu d’informations, mais fait vivre pleinement la mer. Le spectateur est poisson avec les poissons, dauphins parmi les dauphins. Ces images nous permettent de nous reconnecter avec le vivant.
2- Que faisiez-vous en 2002 au moment de la création de La Cité de la Mer et quelles ont été les dates clés de votre parcours ces 20 dernières années ?
2002 résonne fortement en moi car c’est aussi l’année où, avec mon épouse Véronique, nous avons créé l’association Longitude 181 qui œuvre pour la préservation de l’Océan et des créatures qui le peuplent par la sensibilisation tous publics en s’appuyant sur un travail de recherche scientifique. Notre association a mis en place la Charte Internationale du Plongeur Responsable, à une époque où les plongeurs n’étaient pas du tout sensibilisés aux questions environnementales. Elle est aujourd’hui traduite en 27 langues. Dans le même temps, avec mon confrère Laurent Debas, ancien directeur du département Mer du WWF, nous avons proposé un système de gestion des pêches par des groupes de pêcheurs qui travaillent en concertation (Unité d’Exploitation et de Gestion Concertées), de telle sorte qu’ils puissent ensemble, et non en concurrence, ne prélever que ce que la mer peut donner et qu’ils œuvrent en commun pour diminuer l’impact de leurs engins sur les écosystèmes.
C’est en 2006 que notre association Longitude 181, avec l’aide des plongeurs polynésiens a obtenu que le gouvernement de Polynésie Française interdise la pêche des requins sur l’ensemble de la ZEE, soit 5,5 millions de km2. Une victoire phénoménale pour une petite association car à l’époque il n’y avait pas de pétition en ligne. Mais malgré cela, la mobilisation fut telle que nous avons empêché le développement de la pêche pour les ailerons de requin qui a ravagé le reste du monde !
Ces dernières années nous avons aussi mené une étude scientifique (acoustique, génétique, éthologique) qui s’appuie sur l’immersion respectueuse et passive au cœur d’un clan de cachalots. Cette étude scientifique a pour objectif de connaître l’intimité de leurs relations sociales, afin de montrer la singularité et la personnalité de chacun.
3- Quel est votre espace préféré à La Cité de la Mer ?
La Cité de la Mer, au cœur de l’Océan du Futur, est un voyage immersif. C’est comme si on rentrait dans un engin. J’aime particulièrement le design de l’espace des grandes lames qui montrent des images spectaculaires issues du film Océans. Il éveille en moi l’impression de plonger au cœur de l’épaisseur liquide. M’impressionne aussi le mapping des sources hydrothermales, le rendu est saisissant : on y est comme si on explorait le fond de l’océan à bord de l’un des bathyscaphes merveilleux de la Grande Galerie des Engins et des Hommes.
C’est aussi l’un de mes espaces préférés. J’aime déambuler au milieu de ses explorateurs : Jacques Piccard, Pierre Willm, Henri-Germain Delauze… J’aime marcher, m’approcher du canon de l’Alabama. Ce décor me rappelle le temps où je plongeais à bord de La Calypso avec le commandant Cousteau et où avec “Bébert” Falco nous descendions explorer nos petits abysses à bord de Denise, la soucoupe plongeante jaune. Ensemble nous avons même découvert une source hydrothermale au large de White island, en Nouvelle-Zélande. Elle porte le nom de Calypso vent. Avec Michel Pichon, aujourd’hui chercheur au CRIOBE, nous avons étudié la répartition des coraux profonds de la zone mésophotique[1]* sur la Grande Barrière de Corail.
4- A quoi pourrait ressembler La Cité de la Mer de demain et du futur ?
Dans La Cité de la Mer de demain, je souhaite que le public puisse être immergé dans une salle-écran où seront projetés des images des créatures marines à taille réelle : la baleine 30 mètres, le cachalot 20 mètres… Que le visiteur soit emporté dans un banc de sardines qui n’a ni commencement ni, fin, qu’il nage au cœur de banc de barracudas, des yeux, des nageoires, des écailles, des éclairs d’argent, pour qu’il oublie qu’il est sur terre. Je sais que tout le monde ne peut pas aller en mer mais grâce à la force des images et aux nouvelles technologies on peut reproduire cette vie sous-marine grandeur nature. L’image est le meilleur moyen de montrer de ce qu’est un écosystème, c’est à dire les interdépendances nécessaires entre les organismes. La vie est relations ! Chacun d’entre nous est le fruit de toutes ces interdépendances.
Je voudrais pouvoir rester des heures devant une raie Manta géante assaillie par des dizaines de petits poissons soigneurs, plus attentifs les uns que les autres, qui picorent par-ci un parasite, nettoient par là des peaux mortes. Je souhaite qu’à La Cité de la Mer, les visiteurs puissent venir partager de véritables moments de vie avec ses habitants de la mer. Et les moments de vie, c’est long… cela permet de réapprendre le temps de la nature.
5- Vous allez participer du 23 au 25 février 2022 à des tables rondes sur le thème de « l’Océan, porteur de promesses » auprès de scolaires dans le cadre de l’événement #GénérationOcéan, quel message préparez-vous et souhaitez-vous adresser aux jeunes ?
On a tendance à trop intellectualiser les problématiques maritimes et souvent à se noyer de chiffres alors que l’on a besoin de ressentir la mer, de s’immerger, de vivre la beauté. Ainsi on est plus proche de ce que l’on veut connaître. Face aux menaces qui pèsent sur l’océan, nous devons agir : on connaît les causes depuis 40 ans mais depuis 40 ans, on est dans l’indifférence, parce que les chiffres sont secs et ne parlent pas au cœur.
Enfin, je souhaiterai dire tout simplement MERCI à Bernard Cauvin et à ses équipes. Il est important de ré-ancrer l’océan dans l’esprit des jeunes. Tous ceux, qui comme La Cité de la Mer, font tomber cette indifférence sont des défenseurs de l’environnement. Ainsi, venez à La Cité car vous allez être émerveillé et vous aiguiserez votre curiosité… La clé, c’est de prêter attention, c’est-à-dire ne pas seulement voir, mais regarder et penser vraiment à celui que l’on regarde. C’est tenter de comprendre qui il est, tenter de rentrer dans sa vie.
A La Cité de la Mer, on ouvre des fenêtres sur l’océan pour prêter attention. Cela ne dépend que de nous de s’enrichir du monde qui nous entoure et de savoir à qui nous avons envie de transmettre ce monde. Pour ma part, ce monde, j’ai envie de l’offrir à ma petite fille et à millions d’autres enfants qui partageront notre Terre-Océan aux côtés de toutes les créatures vivantes non-humaines.
Les actualités de François Sarano en 2022
– Parution le 02 février 2022 du livre « Au nom des Requins » aux Éditions Actes Sud. Il s’agit d’un plaidoyer pour les requins, symbole de l’altérité qui nous fait peur parce qu’on la méconnait.
– Dans le cadre des 20 ans de Longitude 181, parution de nouvelles publications scientifiques sur ce que la génétique et l’acoustique nous apprennent sur la société des cachalots. Deux missions en juin et septembre sur la piste des cachalots au cœur de l’écosystème méditerranéen, en collaboration avec le généticien Jean-Luc Jung (Université de Brest et Muséum d’Histoire Naturelle et l’acousticien Hervé Glotin, Professeur des Universités et chercheur au laboratoire LSIS de l’Université de Sciences et Techniques de Toulon.
– Toujours avec le professeur Glotin, une autre expédition est prévue en Norvège, pour étudier les baleines à bosses et les orques, en novembre 2022, pour étudier les modifications de comportement des orques qui se nourrissent des harengs depuis que les baleines à bosses viennent profiter de leurs chasses.
[1] La zone mésophotique est située entre 200 m et 1000 m, entre la zone éclairée par le soleil et la zone de nuit absolue. On y trouve encore des coraux et quelques rares algues dépendant de la lumière et des organismes pouvant être trouvés dans les environnements océaniques sombres et plus froids.