Jacques Rougerie, grand témoin des 20 ans de La Cité de la Mer « Aucun autre aquarium ou centre de la mer ne met en avant l’idée de la pénétration humaine sous-marine ! La Cité de la Mer est le seul musée en France et dans le monde qui relate l’histoire de l’aventure de l’Homme sous la mer ».
Jacques Rougerie est un architecte du monde sous-marin qui se définit lui-même comme un « mérien », un habitant de la mer. L’eau, les océans mais aussi l’espace, nourrissent ses rêves. Rencontre avec un bâtisseur, un explorateur, un plongeur en terre humaine qui a conçu l’aquarium abyssal de La Cité de la Mer qui embarque le grand public dans l’Océan Futur.
1- Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec La Cité de la Mer ?
Ma première rencontre avec Bernard Cauvin a été absolument passionnante lorsqu’il m’a parlé de son projet de Cité de la Mer. Il avait un regard incroyable, plein de passion, d’audace et de conviction. Il développait cette grande idée de faire une Cité de la Mer à Cherbourg sur le thème de l’histoire de la pénétration de l’homme sous la mer. J’avais réalisé Nausicaa à Boulogne-sur-Mer et Océanopolis à Brest et d’autres aquariums notamment au Japon. J’avais aussi construit des maisons sous la mer et participé à des expériences avec la COMEX. C’est pourquoi Bernard Cauvin voulait recueillir mon avis sur son projet. Alors que beaucoup n’y croyaient pas, je fais partie de cette poignée de personnes qui, dès le départ, étaient convaincues. J’ai ensuite remporté le concours lancé par La Communauté urbaine de Cherbourg pour la réalisation de l’aquarium abyssal. Nous avons proposé de réaliser une grande faille en polycarbonate de 11 m de haut. Cette faille vise à faire comprendre au public l’importance de cette colonne d’eau que représente l’océan. Encore aujourd’hui, il s’agit de l’aquarium le plus profond d’Europe. Cette idée ambitieuse a séduit le jury par sa cohérence. Aucun autre aquarium ou centre de la mer ne met en avant l’idée de la pénétration humaine sous-marine !
2- Qu’est-ce qui vous touche et vous émeut le plus à La Cité de la Mer ?
La Cité de la Mer est en osmose avec mon parcours et avec mes projets d’architecture. Outre l’aquarium abyssal, La Cité abrite aussi la coiffe de mon vaisseau SeaOrbiter au cœur de La Grande Galerie des Engins et des Hommes. Cet espace grandiose accueille des engins habités incroyables dont le REMORA 2000 d’Henri-Germain Delauze, patron de la COMEX, 1ère société mondiale de l’homme sous la mer. Titanic, le plus grand drame de l’histoire maritime ancré dans la mémoire collective, ajoute de la cohérence au parcours de La Cité. La dernière escale du Titanic a eu lieu à Cherbourg avant qu’il ne sombre dans les abysses.
Cette autre idée de récupérer Le Redoutable, qui était voué à la casse et de concevoir un bassin : quelle audace pour l’époque ! Tout le monde trouvait cela farfelu alors qu’aujourd’hui tout le monde trouve cela extraordinaire ! Personne n’y croyait mais Bernard Cauvin conservait son optimisme acharné, qu’il a toujours, avec ses yeux pétillants et son pouvoir de conviction incroyable ! Il nous a fédérés ! La Cité de la Mer a une résonance particulière pour moi, qui vit dans ce monde sous-marin de façon quasi permanente. Je suis aussi passionné par l’espace. Actuellement, je participe aux expériences du programme américain NEEMO de la NASA NOAA, dirigée par Bill Todd. Ce programme utilise l’Aquarius, un habitat sous-marin situé près de Key Largo en Floride, pour l’étude des similitudes de vie en milieux extrêmes, entre l’espace et le monde sous-marin.
3- Quel est votre endroit préféré à La Cité et votre souvenir le plus marquant ?
Se retrouver devant le belvédère, suspendu face à la grande faille abyssale qui descend jusqu’au salon Jules Verne est une expérience unique ! On a l’impression d’être au cœur du monde sous-marin ! L’impact et la grandeur de l’espace quand vous rentrez dans la Cité et que vous découvrez la multitude des engins est également impressionnant. Ça ouvre l’imaginaire. Dès votre arrivée vous découvrez des maquettes mais surtout des engins réels, qui ont vécu l’épopée de la conquête du monde sous-marin. Waou ! C’est du Jules Verne. On a l’impression d’être le Capitaine Némo ! La Cité de la Mer me provoque toujours une émotion. J’y suis venu des dizaines de fois, j’ai vu l’émerveillement des enfants. L’inauguration de La Cité de la Mer en 2002 a été un moment extraordinaire. On sentait une grande fierté chez Bernard Cauvin. Il avait de quoi l’être. La fête a été merveilleusement réussie. Je garde aussi en mémoire une magnifique soirée avec Jacques Perrin et avec François Sarano lors de l’évènement #GénérationOcéan en 2019 avec plus de 2500 scolaires. Il y a eu aussi le clin d’œil de la mise en place de la coiffe de SeaOrbiter au cœur de La Grande Galerie des Engins et des Hommes, un moment particulier, chargé d’émotion pour moi. Un véritable honneur !
4- Quel est votre actualité et celle de la Fondation Jacques Rougerie ?
La Fondation Jacques Rougerie a pour objectif d’aider les jeunes à croire en leur futur et à ces aventures. Il faut continuer à créer des liens forts entre le monde spatial et sous-marin. A cet effet, je collabore à la réalisation du prototype de module lunaire Eurohab, récompensé par la fondation, pour l’entraînement des astronautes et le retour de l’homme sur la lune, d’autant que Thomas Pesquet rêve d’y aller d’ici 2030 ! Nous l’avons exposé à Dubaï lors de l’exposition universelle. J’accompagne dorénavant les lauréats de ce projet, réalisé avec le CNES et l’ESA, en tant qu’architecte. Après Dubaï, le prototype ira à l’île de la Réunion sur le Piton de la Fournaise pour l’entraînement des astronautes. Il y a de nombreuses similitudes entre le monde spatial et sous-marin. Cela fait 40 ans que j’œuvre pour réunir ces deux univers et cette contribution est une fierté ! Autre dynamique : je suis fier de voir se développer des projets d’architecture biomimétique. Ils font référence à l’ADN de mes projets qui ont toujours été inspirés par la nature.
5 – Quelle est votre vision de La Cité de la Mer de demain et que souhaitez-vous adresser aux équipes de La Cité de la Mer à l’occasion de cette année anniversaire ?
La Cité de la Mer du futur doit conserver son temps d’avance. Avec les nouvelles technologies, on arrive à concevoir des salles immersives extraordinaires. Je rêve de pouvoir emmener le public vivre sous la mer quelques instants, le temps d’un week-end pour voir les recherches scientifiques et découvrir les bases sous-marines du futur pour que les familles et surtout les enfants comprennent l’exploration océanique, l’impact et l’importance de préserver le monde sous-marin, de l’exploiter, dans le bon sens du terme, pour le bien commun de l’humanité. Il faut continuer de voir et de montrer le génie humain à travers ces engins !
Il ne faut pas faire croire qu’on va habiter éternellement sous la mer mais ponctuellement, pour une mission très précise. Ma génération et celle de Bernard Cauvin, n’est pas toujours convaincue de ces incursions océaniques et spatiales : mais c’est en train de naître, les ancrages sont là. Certains s’interrogent : pourquoi aller dans l’espace ou sous la mer alors qu’il y a tant de choses à faire sur Terre ? Or l’espace comme le monde sous-marin est un fabuleux gisement de connaissances… Il faut continuer cette épopée !
En conclusion, tout bon marin dirait : bon vent ! Pour ma part je suis un « mérien », je souhaite ainsi aux équipes et à la jeune génération de poursuivre leurs rêves et leur passion et de garder l’audace qui a permis à Bernard Cauvin de réaliser son rêve en bâtissant cette merveilleuse Cité de la Mer ! Il faut continuer de perpétuer cette aventure humaine sous la mer. A La Cité de la Mer, il y a un ancrage fort avec les engins du passé mais demain il faudra s’ouvrir aux engins d’exploration du futur ! Il faut transmettre aux jeunes les rêves de ces hommes et ces femmes qui ont exploré le monde sous-marin pour qu’ils réalisent les leurs !
Regardez Jacques Rougerie livrer ses confidences de mer, enregistrées en octobre 2019 à La Cité de la Mer lors de la première édition de #GénérationOcéan organisée avec le groupe Ouest-France